Lettre ouverte des professeurs du lycée Corot de Douai
A propos des reportages diffusés sur France 2 et France 3 le 15 septembre 2009
Faire un reportage sur la question de la généralisation de l’assouplissement de la carte scolaire était une bonne idée. Comme l’a expliqué notre Proviseur, nous sommes particulièrement bien placés à Douai pour constater les effets négatifs d’une telle mesure prise chez nous il y a six ans. L’écart de recrutement et de résultats entre le lycée Châtelet et le lycée Corot n’a cessé de croître. Le premier intègre les élèves du collège aux classes préparatoires, recrutés pour l’essentiel sur le centre ville ; il est de surcroît entièrement rénové et offre des conditions matérielles de travail particulièrement attractives. Ce n’est pas le cas du second qui recrute surtout sur les communes alentour et les faubourgs de Douai et malgré des bâtiments patrimoniaux et les efforts consentis par le Conseil régional, met à disposition des bâtiments de cours assez bruyants et vétustes et un équipement parfois défaillant.
Mais précisément, au lieu d’insister sur les choix politiques et administratifs qui ont mené à cette situation, les reportages de France 2 et France 3 diffusés le 15 septembre 2009 ont présenté de façon caricaturale ce qu’ils assimilent à un face à face quasi fratricide entre deux établissements d’une même ville. Cela pouvait donner une bonne fiction, mais certainement pas un bon documentaire.
Il faut d’abord noter qu’il n’y a pas que deux établissements d’enseignement secondaire à Douai : le lycée Edmond Labbé présente une situation particulièrement difficile à force d’être délaissé, et que dire du lycée privé Saint-Jean en compétition directe avec le lycée Châtelet, jusqu’à établir son bâtiment de classes préparatoires HEC juste en face de la porte d’entrée du « concurrent » ?
Surtout, il est complètement faux de dire qu’élèves et professeurs souhaiteraient fuir Corot pour Châtelet. Ce n’est pas du tout ce que l’on constate. Non seulement beaucoup d’élèves demandent Corot en premier vœu mais nous pouvons recruter de très bons élèves qui préfèrent nos conditions d’enseignement, moins compétitives et plus humaines. Il n’est que de voir l’émotion suscitée chez eux par les reportages et les réactions constructives qu’ils ont su mettre en place : courriers aux médias, blogs, pétitions... Nous ne pouvons qu’être admiratifs devant leur sens des responsabilités.
Corot a également depuis longtemps un atout de taille : la disponibilité et l’écoute bienveillante de son encadrement et un esprit de solidarité et même d’amitié entre collègues. Même si le recrutement manque à l’évidence de mixité sociale et que ces dernières années ont mis à mal l’ambiance générale, les professeurs sont traditionnellement plutôt heureux à Corot, heureux de se retrouver et de retrouver les élèves. Si ce n’étaient les suppressions de postes et compléments de service qui frappent toujours durement Corot et presque jamais Châtelet, les équipes restent très stables. Très rares sont les collègues qui espèrent muter à Châtelet et ce n’est certainement pas pour fuir nos « élèves défavorisés » comme le laisse sous-entendre le montage par France 3 de l’interview de notre ancienne collègue d’anglais.
Enfin, disons simplement que le fait qu’on puisse établir une hiérarchie entre des établissements sur une quelconque base, n’implique pas nécessairement un esprit de domination/frustration. Toute la société est traversée de hiérarchies en tous genres, à commencer par l’inégalité de revenus, et cela n’empêche pas de vivre et de se donner les moyens de réussir sa vie. C’est là tout l’intérêt de l’école, et en particulier de l’école publique.
Parmi les raisons qui nous attachent au lycée Corot, l’ambition d’y être utilesn’est pas la moindre. Par de multiples biais, et en essayant de ne pas se décourager, nous tâchons de conduire chacun de nos élèves vers la réussite dans sa vie : cours accessibles, soutien aux volontaires, écoute.
Nous tenons particulièrement aux options qui font l’identité forte de Corot, comme la musique en spécialité, le théâtre en option lourde, le cinéma, les langues, même celles plus rares dont les effectifs sont réduits. Nous ne partageons pas du tout les choix politiques et administratifs de ces dernières années qui veulent recentrer les élèves sur un tronc commun et les invitent explicitement à éviter de se disperser. Les options, parce qu’elles sont librement choisies, qu’elles ouvrent sur d’autres aspects culturels, et parfois font sortir du lycée, ont toujours eu chez nous un effet d’entraînement sur la motivation générale. Elles permettent de surcroît d’obtenir des points supplémentaires au baccalauréat et parfois grâce à elles une bonne mention. Si les options impliquent un investissement financier et qu’elles ne facilitent pas la composition des emplois du temps, elles ont un tel bénéfice qu’il nous paraît nécessaire de les maintenir, et même de les développer, coûte que coûte.
C’est vrai que nous ne rivalisons pas avec Châtelet sur le terrain des résultats, des mentions, des intégrations en classes préparatoires, mais nous menons au bout de leur scolarité des élèves qui n’auraient certainement pas eu cette opportunité si Corot n’avait pas existé. Avoir son bac, ce n’est déjà pas si mal. Et la quasi-totalité des élèves poursuivront ensuite un cursus dans le supérieur ; et parfois en restant à Corot pour y obtenir un BTS. Les résultats y sont très honorables et permettent une intégration professionnelle dans des délais réduits, notamment pour les séries STG.
Et comment exprimer la joie de voir circuler des instruments de musique dans l’établissement et d’entendre nos élèves musiciens exercer leurs multiples talents au concert de Sainte-Cécile qui a lieu chaque année ? Il y a également un réel enthousiasme devant les créations et interprétations des uns et des autres, en cinéma ou en théâtre. Ou devant l’engagement d’élèves motivés qui rejoignent un Projet éducatif de science po. ou une section européenne. On peut également évoquer les bons résultats en championnat de France (hand, basket, boxe...) de nos élèves de l’UNSS souvent issus des options facultatives sport de Corot ; ou encore la formation de jeunes officiels à l’art difficile de l’arbitrage. Qu’ils y participent directement ou non, de tout cela, élèves et professeurs de Corot sont fiers.
C’est pourquoi nous sommes convaincus que Corot n’a pas à avoir honte de ce qu’il est. On est très loin du « dépotoir » évoqué maladroitement dans un des reportages. Mais nous tenons à dire une chose avec fermeté : étant donné son recrutement, le lycée Corot a droit a minima à un traitement égal au lycée Châtelet. Et pour le moment, ce n’est pas le cas. Nous avons droit à des bâtiments rénovés et bien équipés. Nous avons droit à des horaires gonflés, par exemple en langue (5h en seconde à Châtelet au lieu de 4 chez nous). Et, le plus incroyable peut-être, nous avons droit nous aussi à une assistance sociale ! En effet, depuis cette année Châtelet (lycée-collège) bénéficie d’une assistante sociale à plein temps alors que Corot n’a toujours qu’un assistant social en réseau, c’est-à-dire une journée par mois. Et il ne s’agit pas d’une permanence qui offrirait un accès direct aux élèves en difficulté ou guidés par les professeurs, les CPE ou l’administration, mais simplement d’une heure de présence pour répondre à la sollicitation du Chef d’établissement, au cas par cas et suite à une procédure qui prendra nécessairement quelque temps.
C’est cela que nous condamnons : le choix de délaisser certains établissements au profit d’autres, vraisemblablement pour que ces derniers soutiennent la comparaison avec les établissements privés.
Nous voulions par cette lettre ouverte rétablir une perspective plus équilibrée sur Corot et au côté des élèves défendre un établissement auquel nous tenons. Nous sommes inquiets d’une certaine dérive de l’établissement ces dernières années, en partie due à l’assouplissement de la carte scolaire, mais pas uniquement, qui fait qu’à certains égards Corot est à un moment critique de son histoire. Nous réclamons donc des moyens pour maintenir un accueil et une offre de formation à la hauteur de nos ambitions d’école publique et, bien sûr, nous réclamons avec force l’assistante sociale qui nous manque.
Courrier rédigé à l’initiative des professeurs SNES-SNEP de Corot