Le ministère a lancé un plan de formation aux valeurs de la République, qui se déploiera sur les trois prochaines années, à destination de tous les personnels de l’Éducation nationale. Dans l’académie, une première série de collègues a donc été convoquée pour deux après-midis de visio, évidemment le mercredi ! 4 000 collègues derrière leurs écrans, d’emblée le choix était assumé de couper court au débat et aux discussions. Fort.e.s de cet état d’esprit, certain.e.s chef.fe.s d’établissement ont eu le toupet de demander aux collègues convoqué.e.s de venir émarger le lendemain pour attester de leur présence derrière les écrans. Sans blague. Tout cela n’est pas digne de l’émotion qui s’était saisie de notre communauté au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty. Mais les arrière-pensées politiciennes de ce dispositif, conçu également comme un outil de communication en vue des élections, sont pour le moins inquiétantes.
Lors du lancement de ce plan, le 19 octobre dernier, Jean-Michel Blanquer avait estimé que les enseignant.e.s devaient « adhérer aux valeurs de la République et les transmettre ou sinon sortir de ce métier ». Dans un discours tout en insinuations, mêlant soupçons de non-conformité des enseignant.e.s aux valeurs de la République et menaces de sanctions contre les récalcitrant.e.s, il a choisi ainsi sciemment d’instrumentaliser la laïcité. Le ministre s’invente des ennemis de l’intérieur, « wokistes » ou « islamogauchistes », pour répondre au fantasme d’un électorat réactionnaire dont il espère (comme d’autres) gagner les suffrages. Cette stratégie est tout simplement irresponsable, elle hystérise le débat public et il n’a pas fallu longtemps, le 12 novembre, pour que des éditorialistes vendeurs de haine, osent mettre en Une de leur journal « Antiracisme, idéologie LGBT+, décolonialisme... École, comment on endoctrine nos enfants. » Depuis, le ministre a refusé de prendre ses distances avec cette Une affligeante. Jusqu’où Jean-Michel Blanquer dérivera-t-il ? Au Brésil, l’extrême droite au pouvoir est allée jusqu’au bout de ce sinistre chemin en portant une loi contre le « socialisme scolaire » qui vise à mettre sous contrôle toute parole critique dans les salles de classe, en invitant par exemple les élèves à la délation dès qu’on leur parle d’éducation sexuelle, de Marx ou de l’histoire des luttes politiques en Amérique Latine. Agir de la sorte, c’est choisir la politique du pire, celle de la division plutôt que celle de la concorde. L’an passé, lors des hommages à Samuel Paty, les collègues ont exprimé le besoin de se réemparer des questions de laïcité qui traversent tous nos enseignements. Dans les équipes, des échanges interdisciplinaires avaient permis de monter des actions pédagogiques dont le ministère aurait pu, aurait dû, exploiter la dynamique (mais qu’il avait choisie de saborder la veille de la rentrée par un de ces contre-ordre dont il est coutumier).
Combattre les préjugés, ouvrir les esprits, et faire vivre des débats dans le respect de chacun.e, cela ne peut se mener à coups de menton.
Olivier Mathieu