Oraux de l’EAF : voici un témoignage reçu par la section académique du Snes-FSU
EAF 2021 : de l’équité… ou pas
La perte du caractère national du baccalauréat, la perte de la valeur et du sens de cet examen, 1er diplôme d’accès à l’enseignement supérieur est cette année entérinée, quoiqu’en dise Jean-Michel Blanquer, qui plastronne et prétend lui avoir rendu son lustre avec cette coquille vide qu’est le grand oral. Le passage au contrôle continu pour 40% de la note finale, énième coup de poignard, contribue à ce dynamitage. Le bac devient un bac local, avec tout ce que cela suppose de petits arrangements avec les notes, de concurrence entre les établissements, de pressions des parents et des élèves, de pressions des hiérarchies sur les personnels en vue de Parcoursup notamment. Ce n’est pas une crainte : c’est un fait.
La machine Blanquer est en marche, elle fonctionne à plein régime et balaie sur son passage les valeurs de l’école républicaine.
Passage dans les coulisses des oraux du bac français, pourtant maintenus comme une épreuve terminale en fin de 1re, mais d’ores et déjà gangrénés.
Dans des conditions kafkaïennes, avec une charge de travail colossale pour les professeurs de lettres, la situation en amont des oraux était comparée à celle du Titanic le 9 juin dernier, dixit un inspecteur. Charge aux coordonnateurs et à leurs collègues examinateurs de sauver le bateau du naufrage.
En bons petits soldats que sont les enseignants puisque les métaphores guerrières ont le vent en poupe sous cette mandature, ils ont affronté la tempête et pourraient presque se satisfaire, en cette fin de session, que les oraux de français, bon an, mal an, aient pu se tenir. Malgré la priorité donnée au grand oral, qui a vu des coordonnateurs convoqués en catastrophe sommés de s’y rendre alors même qu’ils étaient en charge de leur mission sur l’EAF. Malgré des convocations parvenues très tardivement puisque des professeurs ont pourvu à des jurys manquants sans avoir eu le temps d’étudier les descriptifs de bac en amont. Malgré le recours à des enseignants stagiaires ou en collège qui n’avaient jamais fait passer d’oral blanc et qui ont « joué le jeu », découvert le programme et les modalités de l’épreuve sur le terrain, en situation d’interrogation terminale. Mais au prix d’une fatigue intense, tant physique que psychique dans ces conditions proprement ahurissantes.
Doit-on alors tirer la conclusion que les professeurs de lettres ont préservé de la menace l’épreuve terminale chère à leur discipline et à l’égalité républicaine, au sujet de laquelle un inspecteur d’académie exhortait les professeurs à sauver l’EAF ?
Ce serait aller vite en besogne…
Fallait-il vraiment sauver l’oral de l’EAF si c’était pour lui appliquer dès cette année les affres du contrôle continu, et ce au mépris des règles en vigueur et des valeurs dont les examinateurs et les coordonnateurs sont pourtant les garants ? Car l’équité elle-même n’a pas été respectée.
Explications :
A la différence des sessions précédentes où les élèves étaient brassés, interrogés pour beaucoup dans un autre lycée que le leur, la tenue des oraux du bac de français dans les établissements où ils sont scolarisés a cette année conduit à des pratiques qui augurent des désastres du contrôle continu. Des faits.
Dans plusieurs établissements (privés ou publics), le retour des bordereaux en fin de journée donne lieu à leur épluchage par certains chefs de centre, en particulier les lycées néophytes dans l’organisation de l’épreuve. Curiosité pour l’examen et ses arcanes ? Professionnalisme et souci d’équité ? On peut en faire l’hypothèse.
Mais quand cet épluchage s’accompagne d’une comparaison avec les moyennes de l’année chez certains élèves en français, un subtil glissement s’opère. Quand le chef de centre fait savoir à l’examinateur ou au coordonnateur qu’il s’étonne de la note obtenue par tel ou tel élève au regard de ses résultats, ce glissement tend vers la pression à peine dissimulée.
On objectera à cette pression le souci d’éviter qu’un candidat fasse les frais d’un examinateur trop sévère. Quel professeur, d’ailleurs, ne s’inquiète pas du sort qui sera réservé à ses élèves le jour de l’examen ? Les règles de l’épreuve nationale sont toutefois là pour prémunir les candidats contre toute dérive et garantir l’équité. Chaque enseignant doit agir en fonctionnaire éthique et responsable. Le coordonnateur doit quant à lui être vigilant et vérifier le respect des critères d’évaluation par ses collègues, dans le dialogue et la transparence. Cela passe par une notation en cohérence avec un bordereau renseigné avec précision ; par des phases d’harmonisation au cours de la session aussi.
Mais que se passe-t-il quand, discussion avec l’interrogateur et examen des bordereaux à l’appui, le coordonnateur ne constate aucun dysfonctionnement ? … Quand la notation se révèle juste et équitable au regard de la prestation du candidat ? Que l’élève a été interrogé dans le respect du cadrage national et du cadrage académique ? …
On constate dans certains établissements que l’invitation à remonter les notes se fait plus pressante, avec pour principe sous-jacent une suspicion à l’égard de quelques examinateurs et un déni de leur professionnalisme. Les réseaux s’activent et un chef d’établissement contacte par exemple son collègue du lycée où enseigne une professeure pour s’enquérir du profil de l’examinatrice, qu’il juge trop exigeante (alors que la moyenne de l’examinatrice, après deux jours d’interrogation en 1re générale, dépasse 14.7…).
Autre canal de communication : un enseignant rentre en contact avec le coordonnateur en charge de l’établissement où le premier enseigne pour lui signaler qu’il a eu vent d’un jury qui n’a mis qu’à deux reprises 18/20, alors que la session a commencé depuis 3 jours à peine et que les notes ne sont pas figées. Il faut donc que quelqu’un, dans le lycée en question, ait parcouru les bordereaux de notation et s’en soit plaint. Que ce quelqu’un ait contacté le professeur. Qui à son tour… En résumé, les bordereaux, au cours de cette session, semblent être passés parfois entre plusieurs mains. Ne sont-ils pas censés être confidentiels ?
Autre type de remarques : on informe des examinateurs, l’air de rien, en aval de la demi-journée, que le candidat qui sera interrogé est « fils de » ; que la candidate qui sera interrogée est une excellente élève dont l’ambition est de postuler dans une classe préparatoire parisienne ; que tel élève fait la fierté de l’établissement ; que tel élève est l’enfant d’un enseignant de lettres dans le lycée… Et l’anonymat ? Et la neutralité ?
A mi-session, un jury à la moyenne un peu plus basse que les autres commissions dans l’établissement où il interroge accepte volontiers de revenir, avec l’appui de son coordonnateur, sur les bordereaux et les notes qu’il a attribuées ; tous les bordereaux sont relus, examinés, et pas seulement ceux pour lesquels la direction a signalé des résultats décevants au regard des attentes. Ce par souci d’équilibre et afin de ne léser personne dans cette opération de « remontage » des notes, faite de façon scrupuleuse et nuancée, avec professionnalisme en somme. Notamment parce qu’en accord avec les valeurs de l’école républicaine, il n’est pas question que seuls les « fils de » bénéficient de notes plus généreuses. Pourtant, il semblerait que cela ne suffise pas…
En fin de session, dans un total mépris du principe de souveraineté du jury, des examinateurs se voient refuser le verrouillage de leurs lots de notation. L’harmonisation se fera de façon totalement opaque, sans aucune concertation avec les professeurs examinateurs, totalement dépossédés de leurs notes.
A l’inverse, un examinateur, par défiance assumée pour une épreuve qu’il juge vide de sens, octroie des notes très élevées dans une fourchette particulièrement réduite et généreuse, ce qui porte atteinte au principe d’équité entre les candidats. Aucun représentant de l’institution ne s’en inquiètera.
Les règles de déontologie auront été pour cette session 2021 de l’EAF et selon les centres d’examens… à géométrie variable.
Voilà toute la confiance que l’on accorde aux personnels, tout le crédit qu’on leur octroie pour leur investissement.
Voilà toute la considération dont les professeurs font l’objet, alors qu’ils ont tenu à bout de bras une épreuve que la hiérarchie s’attelle elle-même à vider de son sens et de ses valeurs. Valeurs qu’elle se plaît à rappeler toutefois.
Cette violence infligée aux personnels, bafoués dans leur identité professionnelle, bafoués dans leur loyauté à l’égard d’une institution qui s’emploie à les piétiner et ne respecte pas les règles qu’elle édicte, est tout bonnement insupportable. Elle est vécue par beaucoup comme une humiliation. A fortiori cette année, marquée par des dysfonctionnements dont le Ministère Blanquer est le seul responsable, puisque ceux-ci sont notamment imputables au néomanagement qu’il a lui-même impulsé avec autoritarisme !
Au-delà du seul sort des petits personnels de terrain, méprisables puisque cette session leur aura montré tout le cas qui est fait de leur droit à la déconnexion par exemple, c’est plus fondamentalement encore le sort des élèves qui est en jeu : le baccalauréat Blanquer est celui de l’opacité ; l’école Blanquer celle de la mise en concurrence du privé et du public, des établissements publics entre eux ; des élèves entre eux ; des disciplines entre elles ; des enseignants entre eux.
Quel modèle l’école offre-t-elle à la jeunesse si les valeurs qu’elle a le devoir de lui transmettre sont dans le même temps saccagées ? Si la règle qui vaut pour tous, dans le respect de l’égalité républicaine, vaut pour certains plus que d’autres ?