Madame le Recteur,
vous arrivez dans une académie qui a subi beaucoup plus de suppressions de moyens qu’ailleurs, que ce soit en chiffres bruts ou en pourcentages, alors que les résultats scolaires nous placent en fin de peloton, et qu’une bonne partie de nos établissements sont à juste titre classés en éducation prioritaire (ce qu’oublient régulièrement les statisticiens qui établissent des moyennes d’élèves par enseignant, donnant ainsi l’illusion d’une surdotation lilloise).
Il y a une dizaine d’années, vos prédécesseurs avaient tenté de nous rassurer en nous expliquant que la baisse démographique à venir permettrait d’améliorer des conditions de travail déjà particulièrement difficiles à l’époque.
Force est de constater que les promesses n’engagent que ceux qui les croient : le dogme du non remplacement d’un fonctionnaire sur 2 et les coupes budgétaires qui en résultent sont passés par là. Les suppressions continuent donc à pleuvoir et nous faisons année après année le constat que, s’il est difficile de créer un poste, le supprimer est aisé (il faut en général plusieurs centaines d’élèves en plus pour obtenir un poste, alors que 7 ou 8 élèves en moins entraînent une suppression quasi systématique). A terme, la hausse démographique ne nous permettra pas de récupérer ce que nous aurons perdu.
Cette année, vous n’avez même pas ce prétexte de la baisse démographique puisque les effectifs progressent en collège, en 2de, et donc dès l’année prochaine dans les autres niveaux du lycée. Au lieu d’anticiper la situation, vos services ont eu à gérer une nouvelle ponction de 646 postes, alors que nous manquons d’enseignants (75 en technologie, 120 en documentation, sans compter les disciplines professionnelles toujours déficitaires ...), alors que se faire remplacer relève du parcours du combattant et que des établissements sont toujours sans CPE ou en nombre insuffisant pour fonctionner correctement.
Les réformes que nous contestons sont tombées à point nommé pour remplir ce premier objectif que vous vous êtes fixé :
– - 241 postes supprimés en lycée pour une réforme qui consiste à diminuer les horaires disciplinaires des élèves, à faire du saupoudrage culturel en introduisant des enseignements d’exploration d’1 heure 30 par semaine que se partageront 3 professeurs (MPS), à donner l’illusion d’un accompagnement personnalisé dans le meilleur des cas à 17 élèves alors qu’il se déroulait jusqu’à présent à 8, à diminuer l’offre de formation, à mettre en concurrence les enseignements, à détruire le droit à un service public d’éducation en transférant sur les enseignants des missions qu’ils sont dans l’incapacité d’assumer.
– L’équivalent de 220 postes est également supprimé pour mettre en place une formation des maîtres et des CPE unanimement rejetée et qui s’annonce comme une catastrophe du point de vue des élèves comme des futurs enseignants, A t-on jamais vu former quelqu’un à autant de responsabilités en le mettant directement à temps plein sur le terrain, sans formation préalable ? Nous n’acceptons pas cet acharnement à ne pas comprendre qu’enseigner, ça s’apprend et pas n’importe comment. A moins que le but visé ne soit purement et simplement la destruction de l’Ecole publique ? La FSU appelle les tuteurs potentiels dans le 2de degré à ne pas s’en rendre complices en refusant collectivement de devenir maîtres de stage dans de pareilles conditions. Dans le premier degré, les personnels ayant une certification (CAFIPEMF) sont les seuls qualifiés à prendre part à la formation des enseignants. La FSU demande l’augmentation du nombre de ces personnels formés et donc l’augmentation de stage pour l’obtention du CAFIPEMF. De fait, elle s’oppose au recours de personnels non formés pour participer au tutorat des fonctionnaires stagiaires.
– dans les services académiques, les suppressions d’emplois continuent à un rythme effréné avec encore cette année 42 postes en moins après 28 en 2008 et 34 en 2009. Cette situation va mettre encore plus les collègues en difficulté pour assurer leur travail quotidien. Cela va également avoir pour conséquence des services non-rendus aux parents, aux élèves et aux différents personnels. La mutualisation des moyens mis en place depuis deux ans montre aujourd’hui ces limites et nos collègues élus au CTPS attendent toujours le compte rendu de la dernière réunion pour connaître dans le détail l’organisation que vous programmez pour l’année prochaine.
Vous arrivez donc dans une académie qui a le sentiment d’être sacrifiée. Vous nous expliquerez sans doute, comme vous l’avez fait sur France 3, que nos chiffres sont faux et qu’il n’y a pas de lien entre les suppressions de postes et le succès scolaire, puisque nos résultats progressent. Nous n’osons imaginer ce qu’ils seraient si vous répondiez à nos revendications ! Plus sérieusement, vous comme nous, ne sommes pas dupes des chiffres de réussite d’examens dont la part d’évaluation locale ne cesse d’augmenter.
Par contre, nous sommes inquiets devant des résultats de Lille qui font état de trop nombreuses sorties d’élèves sans qualification (phénomène qui va s’aggraver avec la réforme du bac pro), d’une sous représentation de l’enseignement général et technologique par rapport à la moyenne nationale, d’un déséquilibre à l’intérieur des séries, du manque d’ambition en général de nos élèves (il faut dire que passer sa scolarité dans des classes bondées n’aide pas à résoudre ses difficultés). Un de nos seuls motifs de satisfaction, la scolarisation des 2 ans, disparaît depuis quelques années. Là encore, la logique comptable a eu raison de la logique tout court et pénalise les familles et les enfants dont l’entrée en classe est reculée.
Vous arrivez enfin dans une académie où les personnels vivent très mal l’évolution récente de leurs métiers :
– peur d’être le dernier arrivé et de partir en mesure de carte scolaire même après 10 ans passés dans l’établissement ;
– mobilité choisie rendue quasi impossible cette année avec le blocage de 407 postes dans le 2d degré, y compris des postes très attractifs attendus par des personnels ayant accumulé pour cela des points ZEP ;
– pressions pour prendre des heures sup ou assurer des enseignements hors discipline de recrutement ;
– nombre d’élèves qui augmente par classe (nous ne faisons pas cours à des moyennes, et nous constatons chaque jour cette augmentation en collège ou dans une classe aussi importante que la classe de 2de qui tourne de plus en plus souvent autour de 35 élèves)
– diminution de la part du disciplinaire dans l’enseignement au profit de compétences transversales (à la mode pour combien de temps encore ?), compromettant les possibilités d’accès dans le supérieur pour nos élèves ;
– menaces de retrait sur salaires ou retraits sur salaires pour des personnels qui défendent le service public d’Education, comme cela l’a été pour les professeurs de philosophie en juin ou la semaine dernière pour les personnels du collège Martin Luther King de Calais qui exercent à juste titre leur droit de retrait.
Vous comprendrez que les annonces récentes sur la réforme des retraites et le matraquage médiatique qui s’en est suivi sur les fonctionnaires sont d’autant plus mal vécus par des personnels qui ont l’impression de donner beaucoup et de ne rien recevoir en échange, si ce n’est du mépris (mépris encore montré dernièrement à l’occasion de la publication de la note de service mutations rectorale qui valorise les affectations illégales hors discipline, de même que lors des annonces sur la pseudo-revalorisation ou, bien souvent au cours des audiences accordées aux établissements- lorsqu’ils ont été reçus).
Il est donc impérieux que l’Education nationale renonce à la logique étriquée de la calculette et aux médiocres calculs de rentabilité à court terme pour se fixer, à nouveau, les objectifs ambitieux d’un service public au sein d’une société démocratique, en s’en donnant les moyens. Il s’agit en effet d’assurer une formation initiale de qualité pour tous les enfants et jeunes de ce pays, de contribuer à leur épanouissement, de créer les conditions du vivre ensemble et de l’exercice responsable de la citoyenneté.
En ce qui nous concerne, ce sont les aspirations qui nous portent et nous font agir. Dans quelle mesure sont-elles entendues par ceux qui nous gouvernent et légifèrent aujourd’hui ?